Agota Kristof - l´entretien
Kristof, Agota

Agota Kristof - l´entretien

Se švýcarskou autorkou maďarského původu Agotou Kristof jsem se setkala jednoho deštivého odpoledne v jejím malém bytě v Neuchâtelu. Uvítala mě postarší, usměvavá žena...

Vous etes arrivé en Suisse en 1956. Quels souvenirs gardez vous de cette période-la ?
C'était tres mouvementé. Notre train est arrivé a la frontiere suisse (nous venions de Vienne), il y avait une fanfare, des dames qui nous passaient du chocolat par la fenetre, tout le monde était tres gentil. Apres on est arrivé a Lausanne avec le train, on nous a amené dans une sorte de caserne a côté d'un terrain de football - c'est la ou on nous a logé. On s'occupait tres bien de nous, nous étions tres content.

Avez vous déja écrit en Hongrie ?
Oui, j'écrivais d'abord des poemes, mais seulement en hongrois, je ne connaissais pas le français.

Est-ce que vos poemes ont été publiés ?
Oui, dans des journaux, mais pas dans un recueil. J'ai essayé de les traduire plus tard mais je n'y arrivais pas. J'en ais mis quelque uns dans mon dernier livre qui s'appelle Hier, il a y des passages poétiques - cela vient de ce que j'ai écrit en hongrois il y a tres longtemps.

Quand avez vous commencé a écrire en français ?
C'était tres long parce que j'ai travaillé a l'usine durant cinq ans- il y avait le bruit de machines, on ne se parlait pas, j'apprenais tres lentement. Apres j'ai pris les cours de français pour les étrangers organisés par l'Université de Neuchâtel. J'ai appris a lire en français mais c'était dur parce que le français ne ressemble pas du tout au hongrois. Je lisais beaucoup a la maison et apres j'ai commencé a écrire, tres lentement, ce n'était pas tout de suite.

Avez vous écrit directement en français ou traduisiez vous ce que vous aviez écrit en hongrois ?
J'ai commencé a écrire directement en français. C'était d'abord de petites piece de théâtre, parce qu'elles étaient plus facile a écrire que des romans. On met le nom et juste le dialogue, on n'a pas besoin d'écrire de tres longues phrases. Il y en a qui ont été édités et qui ont été joués au théâtre. Et apres, tout a coup, je ne sais pas pourquoi, j'ai commencé a écrire un roman. Je voulais parler de mon enfance, de ce que j'ai vécu pendant la guerre avec mon frere, mais j'ai ajouté d'autres choses, ce n'est pas tout a fait autobiographique, seulement un peu.

Quel souvenir gardez vous de votre enfance ?
Un tres bon souvenir, il y avait la guerre mais on n'était pas trop bombardé. J'habitais a l'ouest de la Hongrie dans une ville pas tres loin de la frontiere autrichienne qui s'appelle Köszeg.

Vous parliez bien allemand ?
Non, pas de tout, j'ai appris un peu a l'école quand j'avais dix ans. Mais apres on apprenait seulement le russe. Il y avaient des professeurs de français, d'allemand, d'anglais qui apprenaient le russe avec nous parce que les autres langues étaient interdites. Mais j'aime bien la langue russe, ainsi que les écrivains comme Dostoievski. Récemment j'ai reçu un CD du groupe hongrois Kaláka qui a mis des textes de Serguei Jesenine sur de la musique, c'est tres bien.

Avez vous publié votre premier texte tout de suite apres l'avoir terminé?
Oui, je l'ai envoyé en France a trois éditeurs, et l'un d'eux l'a trouvé tres bien et l'a publié.

Pensez-vous que vous auriez écrit les memes histoires en hongrois ?
Oui, c'est possible, mais je ne peux pas le savoir.

Est-ce qu'il y avait quelqu'un qui vous a encouragé ou motivé dans votre écriture?
Pas beaucoup mais j'aimais tellement écrire que cela était égal.

Apres votre arrivée en Suisse vous avez travaillé dans une usine de montres pres de Neuchâtel. Est-ce que cette expérience vous a stimulé dans votre écriture ?
Oui, j'ai écrit un peu a la fabrique, encore en hongrois. J'avais un tiroir avec du papier et un crayon, et quand j'avais des pensées, je prenais les notes, et je continuais a travailler. Mais les gens a l'usine ne le savaient pas, je ne pouvais pas leur parler parce que je ne savais pas encore le français.

Mais il y avait des gens dans votre entourage qui le savaient…
Mon ex-mari le savait, bien sur, mais c'était encore les textes en hongrois. Apres, quand j'ai commencé a écrire des pieces de théâtre, il y avait pas mal de personnes qui l'ont appris, parce que les pieces étaient jouées a Neuchâtel.

Vous aimiez beaucoup le théâtre ?
Quand j'étais en internat en Hongrie, j'aimais beaucoup faire du théâtre. On ne pouvait pas sortir le soir alors j'ai organisé des spectacles pour faire rire, des parodies de professeurs, etc. On est allé dans une chambre a coucher, j'apprenais le texte aux autres, et ensuite on disait qu'on ne jouerais que si on nous préparait a manger. Parce qu'il y avait beaucoup de filles de paysans qui recevaient des paquets avec de la nourriture - des gâteaux, du jambon, des saucissons, etc. Leur nourriture était comme le prix du billet. C'était aux alentours de mes quatorze ans.
Ici, au début, je ne connaissais pas du tout le théâtre. Quand j'ai travaillé, je ne pouvais pas aller au théâtre, je ne comprenais rien, j'avais aussi trois enfants a la maison. Un peu plus tard nous habitions pres d'un petit théâtre qui s'appelle maintenant le Centre Culturel Neuchâtelois ou j'ai pris l'habitude d'aller tous les apres-midi lire des journaux. La, j'ai fait la connaissance d'acteurs, mais ce n'était pas des professionnels. En 1979, quand j'ai fini ma premiere piece, de cabaret, tres rigolote, John et Jo, elle a été jouée dans un Café de Marché. C'est a ce moment-la que j'ai commencé a connaître beaucoup de monde, et on m'a demandé d'écrire d'autres piece, pour la radio aussi. Mais c'est John et Jo qui est jouée le plus maintenant, surtout en Allemagne et en Suisse alémanique.

Quel sentiment avez vous quand vous voyez vos pieces jouées au théâtre ?
J'aime beaucoup ça. A Neuchâtel les memes gens, qui ont joué au Café de Marché, ont joué mes pieces beaucoup, partout, pendant tres longtemps, et c'était les meilleurs que j'ai vu, je crois.

Comment trouvez vous les adaptations de votre prose ?
Mes proses ont été adaptés pour le théâtre et au cinéma. C'est parfois bien, d'autre fois moins. Par exemple les belges ont joué a Budapest les trois livres, un soir le premier, et un soir les deux autres, ils ont joué en anglais mais c'était sur-titré en hongrois, il y avait plein de monde, de tres bonnes critiques, c'était vraiment bien. Mais je n'étais pas tres contente, par exemple, de l'adaptation du roman Hier par Silvio Soldini, le film La Brulure du vent. Le changement du titre était tres bien mais il a changé aussi la fin de l'histoire, il a fait le contraire de ce j'ai écrit. Les personnages sont partis ensemble, tres heureux… On en a discuté beaucoup avec S. Soldini et je lui ai dit qu'il ne fallait pas changer la fin mais il est tellement gentil qu'il voulait qu'ils soient heureux. Le film a bien marché en Italie mais pas ailleurs. C'est dommage, surtout pour lui. Et il y a aussi une équipe autour du metteur en scene danois Thomas Vintenberg qui a acheté les droits pour adapter mes trois livres mais ils ont beaucoup de difficultés. Ce n'est pas possible de faire les trois livres ensemble parce que le film durerait quatre heures alors ils ne savent pas comment le faire. Ils ont de nouveau prolongé les droits de deux ans, le film devrait etre déja fait maintenant. Pourtant ils sont allés dans ma ville natale en Hongrie, parce qu'ils voudraient tourner le film la-bas. S'ils ne le font pas, ce serait vraiment dommage parce qu'il y aurait beaucoup d'autres personnes qui auraient voulu le faire avant. Pour finir, ils vont faire le premier livre et le troisieme parce qu'il y a trop de choses dans le deuxieme.

Cela ne vous gene pas ?
Non, mais j'espere qu'il y aura quelqu'un d'autre qui le fera parce que je l'aime beaucoup.

Vous écrivez quelque chose en ce moment ?
Oui, j'ai commencé quelque chose mais cela n'avance pas du tout parce que j'ai beaucoup de problemes de santé, j'ai une hernie discale. Je peux tres difficilement marcher, je sors tres peu, juste pour faire mes courses. J'ai toujours beaucoup d'invitations pour aller partout dans le monde mais je ne peux pas me déplacer. Je suis allée au Japon une fois avec ma fille, c'était tres agréable. Les gens au Japon sont fantastiques, tres cultivés. Nous y sommes resté a peu pres deux semaines. On commençait tous les jours a 9 heures avec des interviews, une demi-heure avec une équipe, apres j'avais dix minutes de repos, et ça recommençait - toute la journée la meme chose, dans les librairies, a la radio, a la télévision. Je n'ai rien vu du Japon, j'étais tout le temps avec des journalistes et le traducteur qui a traduit tous mes livres au japonais.

Est-ce que la perception japonaise de votre ouvre vous a surpris ?
Oui, c 'est assez étonnant. La ou mes livres ont été le mieux acceptés, c'est au Japon, pour la vente ainsi que pour le public qui venait me voir. Ils ont fait les queues pour la signature - c'était impressionnant. J'ai vraiment eu un grand succes au Japon. Ils ont aussi publié mes pieces de théâtre.

Vous les avez vu en scene ?
J'ai vu seulement " Le Grand Cahier ", joué en japonais. Un soir c'était deux filles qui jouaient les jumeaux, et l'autre soir c'était les garçons. Ils avaient les masques, c'était un mélange de théâtre, de danse et de musique, c'était vraiment tres bien.

Vous avez parlé de votre traducteur japonais. Est-ce que beaucoup de traducteurs vous ont contacté pour demander de l'aide avec vos textes, par exemple ?
Non, pas tellement. Il y avait un traducteur anglais qui m'a écrit mais pas pour me poser des questions, c'était pour me dire quels écrivains il avait déja traduit et que je pouvais avoir confiance en lui. Il était vraiment gentil.


Est-ce que vous etes accepté en Hongroie comme écrivain hongrois ?
Non, pas vraiment. Mais j'ai eu beaucoup d'articles, j'ai fait des lectures un peu partout dans mon pays, dans les villes, mais on ne me perçois pas comme écrivain hongrois, je crois. Il y a un grand prix littéraire en Hongrie qui s'appelle Le Kosut (c'est un personnage du 18eme siecle) et une fois mon frere m'avait téléphoné pour me dire que j'étais sur la liste de ce prix et que j'allais le recevoir. Mais je ne l'ai pas reçu parce que je n'étais pas hongroise. Maintenant j'ai demandé a avoir le passeport hongrois, mais la procédure dure déja depuis une année, c'est tres compliqué, il faut écrire les dates de naissance de ses parents, de ses grands-parents, le mariage, le divorce, on me demande beaucoup de choses.

Vous allez souvent en Hongroie ?
Oui, chaque année. La derniere fois j'y suis allée au mois de janvier et comme je n'aime pas l'avion, j'ai pris le train de nuit avec une couchette. C'était un train direct depuis Zurich, c'était vraiment tres bien. Les membres de ma famille sont tous venu me visiter ici aussi, au moins une fois.

Est-ce que votre famille a été fiere de votre succes ?
Oui, un peu, mais pas trop parce que j'ai un frere qui est aussi écrivain. Il m'a envoyé, il n'y a pas longtemps, son nouveau roman sur des terroristes qui est vraiment tres bien. Il a commencé avec des romans policiers mais maintenant il écrit des choses plus sérieuses.

Est-ce que votre métier et celui de votre frere est plutôt exceptionnel dans votre famille ?
Je ne pense pas, en tout cas mon pere écrivait aussi beaucoup. Il était instituteur, il écrivait dans un journal sur l'éducation, il écrivait aussi des poemes et sur la premiere guerre mondiale au cours de laquelle il est allé jusqu'en Russie. Mais il n'écrivait pas tres bien, je trouve.

Est-ce qu'il a lu vos livres ?
Non, parce qu'il était déja mort quand j'ai publié mes livres. J'aurais beaucoup aimé qu'il les lise. Je les ai envoyé a ma mere mais elle ne les a jamais lus, les livres de mon frere non plus. Elle ne lisait jamais, elle les mettait sur les étageres sans les lire, mais cela ne fait rien.

Comment vos textes naissent-ils ?
Je ne commence pas avec une feuille blanche devant moi. Je commence déja toute la journée en faisant d'autres choses, les idées se forment dans ma tete et quand elles sont déja bien, c'est la ou je prend une feuille et que j'écris tout de suite. Ou, avant de m'endormir, j'y pense, et le matin je l'écris. L'histoire sur laquelle je travaille en ce moment, je l'ai déja dans ma tete, c'est seulement apres que je me mets a écrire.

Ca vous arrive d'etre surprise par ce que vous avez écrit ?
Oui, assez souvent. Je me demande comment j'ai pensé ça, comment c'est possible d'écrire ça.

Vous n'écrivez pas a l'ordinateur ?
Non, j'écris a la main, un peu n'importe quoi, pas seulement le début. C'est plutôt un mélange de petits morceaux de texte. Et quand je pense que j'ai déja assez écrit, je commence a taper le texte a la machine. C'est tres pénible, parce que je fais beaucoup de fautes et je dois les corriger tout le temps. Mais maintenant mon éditeur m'aide beaucoup, je lui donne le texte avec des corrections faites a la main et il le met sur la disquette.

Comment avez vous vécu les premiers succes de vos livres ?
Au début, j'étais tres contente, mais apres j'en avais assez.

Est-ce que le succes de vos livres vous empeche parfois d'écrire une nouvelle histoire ?
Oui, parce que je pense que je ne peux pas écrire mieux que ça, que ça serait moins bon. Je trouve que déja le dernier roman Hier est moins bien que les livres précédents.

Est-ce qu'il y avait une histoire que vous avez trouvé particulierement pénible a écrire ?
Non, je ne m'en souviens pas. Il y a des moments ou ça ne va pas, mais cela n'a pas le rapport avec une histoire particuliere.

Vos personnages s'expriment avec des mots tres simples, sans sentiments, sans analyse de soi ni de ses actes, ils constatent tout simplement les faits autour d'eux. Que pensez vous de notre époque influencée par la psychanalyse, les thérapies de toute sorte ?
C'est justement ce que je n'aime pas, quand on analyse trop de choses, quand on parle trop de ce qu'on pense, de ce qu'on reve. C'est pour cela que j'ai décidé d'etre tres simple dans mon écriture. La piece John et Jo est comme ça, les autres pieces de théâtre le sont déja moins. Par exemple dans La Clé de l'ascenseur il y a beaucoup d'adjectifs, c'est vraiment le style que tout le monde utilise, je ne voulais pas ça.

Justement dans cette piece, La Clé de l'ascenseur (p. 75), et dans le roman Le Troisieme mensonge (p. 364) vous posez au travers d'un personnage la meme question : " Combien de temps vit un oiseau ? Combien de temps vivent les gens ? Une éternité, il me semble " …
Vraiment ? Je ne m'en rend pas compte. Mon traducteur japonais, quand il a traduit les pieces de théâtre, m'a dit tout ce qu'il avait déja vu dans mes romans, et moi, je ne m'en souvenais pas du tout. Je lui ai dit : 'J'ai déja écrit cette phrase ?' Et il m'a répondu : 'Ah oui'. Il savait la réponse tout de suite.

Est-ce que cette question sur l'éternité de la vie humaine vous hante?
Pas vraiment mais je pense que je ne voudrais pas vivre tres longtemps. C'est vrai que la vie me semble parfois éternelle.

C'est assez noir comme vision des choses…
Oui, il y a de gens qui détestent ça. J'ai une amie - écrivain qui n'a pas pu lire mes textes.

Vos personnages sont souvent tres solitaires, il me semble que la grande question implicitement présente dans vos ouvres est souvent " Comment supporter une grande solitude ? " Est-ce que vous trouvez la solitude dure a supporter?
Oui, mais c'est depuis que j'ai quitté mon pays que c'est comme ça.

Est-ce que c'était dure de quitter votre pays ?
Pas tout de suite. J'avais des enfants, des maris… Maintenant que mes enfants sont grands la solitude est plus présente. Mais je les vois souvent. J'ai un garçon qui vit tout pres de chez moi, une fille qui habite dans un village pres de Neuchâtel et une autre fille a Paris. Elle est comédienne, elle a eu un grand succes avec deux pieces de Claudel. Mais elle, comme mon fils qui est musicien, trouve difficilement un travail permanent.

Pensez vous que pour etre artiste il faut etre pauvre ?
On ne doit pas mais on l'est. C'est possible que ça aide.

Qu'est-ce qu'un bon écrivain doit avoir ?
Le plus important c'est l'originalité, le texte ne doit pas ressembler a n'importe quoi. Il y a des auteurs qui écrivent toujours la meme chose. Mon amie écrivain, par exemple, écrit toujours les histoires d'amour parce qu'elle n'a pas d'autre sujet, elle n'a pas vécu d'autres choses. Elle écrit bien mais avec un seul sujet.

Quels sont des écrivains avec qui vous vous sentez proche ?
C'est difficile a dire parce que je cherche tout le temps. J'aime bien un norvégien Hamsun et aussi Fernando Pessoa. Il est difficile et déprimant a lire. J'adorais aussi un Autrichien, Thomas Bernard.

Vous etes considéré comme écrivain suisse d'origine hongroise. Etes vous d'accord avec cette description ?
Oui, c'est vrai, parce que j'ai la nationalité suisse.

Avez vous des contacts avec les écrivains suisses ou hongrois ?
Pas beaucoup, mais je fais partie de la Société des écrivains suisse, a l'époque on faisait beaucoup de rencontres. Maintenant c'est difficile pour moi a cause de ma santé.