Echenoz attrape Emile
Echenoz, Jean: Běhat

Echenoz attrape Emile

Le lecteur tchèque a déjà eu plusieurs occasions de prendre connaissance des romans de Jean Echenoz, il serait donc inutile de présenter cet auteur. Néanmoins un changement assez important au sein de sa création depuis l’avant-dernier roman Ravel, mérite d’être remarqué.

Depuis quelque temps, il est rare, dieu merci, que l’on veuille empêcher la publication d’un livre, d’autant moins qu’il s’agit du roman d’un romancier français reconnu. Or le cas du roman Courir qui vient de sortir dans la traduction de Jovanka Šotolová chez Mladá fronta, est un peu particulier dans la mesure où la femme du héros qui est en même temps un des personnages secondaires, Madame Dana Zátopková, a trouvé nécessaire de donner son avis sur le texte et, qui plus est, comme elle dit dans une sorte de post-scriptum, elle avait « le souhait que le livre ne parvienne pas à l’imprimerie, car il manque totalement de valeur documentaire, littéraire, méthodique, scientifique et même la fonction d’amuser le lecteur y fait défaut. » (blog.aktualne.centrum.cz) Sans vouloir entamer la polémique avec l’auteur de la citation, je crois qu’il serait bon de prendre la défense du romancier, au moins quant à la valeur littéraire de son texte. Les autres valeurs, si j’ose dire, ne l’intéressaient guère quand il écrivait son roman (sic).

Le lecteur tchèque a déjà eu plusieurs occasions de prendre connaissance des romans de Jean Echenoz, il serait donc inutile de présenter cet auteur. Néanmoins un changement assez important au sein de sa création depuis l’avant-dernier roman Ravel, mérite d’être remarqué. Bien que ses romans précédents, dont le dénominateur commun est un ludisme formel et générique, fourmillent de personnages emblématiques dénommés Byron Caine, Chopin, etc., c’est à partir de Ravel qu’Echenoz s’inscrit dans le courant désigné par la critique comme « biofiction », c'est-à-dire fiction biographique littéraire qui tire son sujet de la vie d’une personnalité réelle, célèbre ou non. Sa différence par rapport à la littérature biographique est fondamentale : on ne l’écrit pas pour raconter la vie d’une personne remarquable depuis sa naissance jusqu’à son dernier souffle, mais pour en retenir certains aspects et pour en taire d’autres, mais surtout pour en faire une histoire racontée dans une langue littéraire. A l’instar de l’un des classiques vivants de la littérature française – Pierre Michon qui tente de saisir dans ses petits textes des personnalités « minuscules » aussi bien que majeures comme Faulkner, Balzac ou Beckett dans leur vacillement plus que dans leur triomphe –, Jean Echenoz a dépeint Ravel comme un homme ordinaire, atteint d’une maladie qui en fait un homme grincheux et abandonné. Il est donc évident que la « valeur documentaire » de ces romans est pour le moins discutable, même s’il faut reconnaître qu’Echenoz prête dans son dernier livre une attention particulière aux recherches dans la presse de l’époque ainsi que dans des ouvrages qui en traitent. Le lecteur peut ainsi être étonné par les descriptions détaillées de l’équipement technique des deux armées intervenues sur le territoire de la Tchécoslovaquie au cours du XXe siècle. Or l’essentiel est dans le récit qui court sous les touches du clavier du romancier, fût-il doté d’un fondement réel. Et pour ce faire, il faut de l’imagination et de l’art de conter l’histoire. Tout cela serait légitime, si on ne touchait pas à notre héros national qui, comme on lit dans le roman, avait des démêlés avec les services diplomatiques français, faisait des grimaces incroyables en courant et, par-dessus le marché, avait le portrait de Staline et Gottwald dans son living.

Enfin, il faut se demander à quoi ressemble Zátopek de Jean Échenoz ? Il s’appelle Emile et il est présenté comme un héros moderne, tout d’abord romanesque, ensuite national. Romanesque parce que son chemin, plus précisément sa piste de course monte fortement malgré les premières perspectives d’avenir plutôt sombres. Garçon d’une famille qui, connaissant la misère, ne peut se permettre de l’entretenir aux études, il commence donc chez Bata comme apprenti ; or les parents veulent en faire un maître, ce qui est impossible vu qu’il ne sait pas chanter. Il fréquente alors des cours de chimie quand les Allemands arrivent. De plus, Emile ne veut pas entendre parler du sport, mais moins ses amis l’invitent à les rejoindre, plus il y trouve du bonheur et, finalement, la course devient pour lui une sorte de drogue. Dès lors il grimpe dur en assumant toutes les rugosités du terrain.

Echenoz a décrit Zátopek comme une machine qui sait trimer comme un forçat en y trouvant du plaisir, mais surtout qui se fraie son propre chemin en dépit des rires des autres. L’image est toutefois loin d’être héroïque, le processus de mythification comporte de temps en temps aussi un soupçon de revers de la médaille bien qu’il ne soit là que pour faire l’impression d’une certaine objectivité. Quand il court, il a un rictus terrible et ses bras font des mouvements incontrôlés, les « camarades » du parti lui font croire et dire parfois des choses peu louables, mais en août 1968 il se met du bon côté de la barricade en dénonçant l’intervention des armées de nos frères. D’ailleurs, pour expier ses imprudences, un peu naïves, il est interné dans un camp de travaux forcés. Emil Zátopek devient sous les mains d’Echenoz un personnage littéraire formé par les temps modernes qui l’ont porté au sommet de la gloire pour l’en faucher par la suite.

Tout comme Ravel, homme célèbre qui devient chez Echenoz homme simple et parfois même désagréable, de même Emile balance entre une posture originale d’homme de caractère qui se moque des conseils des médecins et d’autres spécialistes en matière du sport et la démarche d’un paysan candide qui réagit aux injonctions de la part camarades supérieurs par un « Bon, si vous y tenez » laconique. Emile d’Echenoz est devenu un personnage romanesque avec tout ce que cela implique (d’ailleurs il s’appelle Émile Zatopek et non pas Emil Zátopek), et il faut le lire de cette façon. Tout compte fait, même le plus appliqué des biographes ne fera qu’une des histoires avec, pour protagoniste, Emil Zátopek et personne ne saura vraiment comment les choses se sont passées en réalité. D’ailleurs, qui peut dire avec sûreté où était la vérité ? Il est sûr que ce n’est ni la presse de l’époque ni l’historien qui la détiennent. Jean Echenoz le sait bien, tout comme les autres auteurs qui écrivent leurs histoires des hommes illustres.

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Přel. a doslov napsala Jovanka Šotolová, Mladá fronta, 2009, 104 s.

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